Je n’ai plus envie de parler de jeux vidéo.

Eh bien, ça y est. Voilà des mois que je devais écrire cet article. Initialement, dans ma tête, cela devait être une longue vidéo, documentée, face cam, mais le monde du travail (et, soyons honnêtes, ma propre procrastination) m’ont rattrapée. De toute façon, je suis plus à l’aise à l’écrit.

Donc, tout est dans le titre. Je n’ai plus envie de parler de jeux vidéo. Et c’est ce constat, ainsi que ses conséquences, que je vais tenter de vous expliquer en quelques lignes, sans amertume.

Qui suis-je ?

Je m’appelle Anne, je suis une femme trans de 33 ans. Vous ne me connaissiez pas sous le même prénom lorsque j’ai lancé ce site, voilà maintenant 13 années (…pfiou). Je ne suis, littéralement et sur bien des aspects, plus la même personne. C’était une occasion comme une autre de l’officialiser, mais cela a aussi toute son importance dans la suite de l’article, vous allez le voir.

Si je n’ai plus envie de parler de jeux vidéo, cela ne signifie pas que je n’y joue plus. Le jeu vidéo continuera de faire partie de ma vie, et je m’amuserai probablement toujours autant lors d’une soirée Smash, Rock Band, Mario Kart ou Jackbox entre ami·es. Je passerai probablement encore de très nombreuses heures seule, devant mon écran, à parcourir Hyrule ou Bordeciel.

Mais je refuse de laisser le jeu vidéo continuer à me définir. Je ne considère pas le jeu vidéo comme plus important ou plus vital dans ma vie que le cinéma ou la sauce pesto. Et ces dernières années, mon commentaire vidéoludique se résumait à de la colère : contre le Gamergate, contre Siphano, contre Quantic Dream, Rockstar Games, CD Projekt RED, Michel Ancel, Julien Chièze, Webedia…

Le jeu vidéo est une industrie nocive, aussi sale que toutes les autres. Cette passion n’a rien de spéciale, elle ne mérite pas d’être défendue tel un sacerdoce. Et je n’ai pas mesuré, en lançant ce site, le potentiel réactionnaire porté par le jeu vidéo en tant que média, ni cet effet communautaire pervers, brillamment mis à profit par les corporations et les partis politiques.

J’avais certes décelé un certain malaise depuis longtemps, puisque j’ai eu l’occasion d’écrire, parfois maladroitement certes, sur la misogynie du milieu (dans le cadre de l’affaire Zoe Quinn, véritable point de départ du Gamergate) ; sur la banalisation des propos homophobes et d’extrême-droite (à l’occasion de l’invitation du youtubeur Caljbeut par les organisateurs de la convention Epitanime) ; sur les proximités entre les milieux « gamer » et l’imagerie néo-nazie (le fameux « PC Master Race ») ; et même sur la ghettoïsation communautaire du jeu vidéo. Rétrospectivement, ces quelques articles constituent une belle chronique de ma lassitude croissante.

Ma sœur et amie Sofia (Game Spectrum) avait produit une bien meilleure analyse que moi, dans son documentaire phare « Qui sont les joueurs de jeux vidéo ? ». Son point de vue est d’autant plus intéressant qu’elle y dresse les parallèles qui s’imposent sur les masculinités et les questions de genre dans le jeu vidéo. De fait, à sa sortie, cette vidéo a été éclairante pour moi, d’un point de vue politique mais aussi personnel.

Qui sont les joueurs de jeux vidéo ? – Game Spectrum – 07/01/2020

De par mon statut de femme, transgenre de surcroît, j’ai bien conscience qu’il me faudra redoubler d’efforts pour parvenir à être entendue dans ce milieu. Et je suis déjà usée. Mon énergie n’est pas illimitée. La vérité est que je n’ai plus envie de me battre pour cela. Mon parcours de vie et ma position actuelle m’imposent de mieux choisir mes priorités.

J’irai plus loin : j’ai trop souvent négligé l’impact nocif qu’ont pu avoir les sphères « gamer » sur mon humeur, mon tempérament, le cours « normal » de ma vie. Et je dois désormais prendre soin de moi, de mon histoire. Je me reconnais un peu dans les propos d’Hannah Gadsby, dans son extraordinaire spectacle, Nanette (à voir sur Netflix de toute urgence, si ce n’est pas déjà fait, avec un paquet de mouchoirs à portée de main).

On apprend de la partie de l’histoire sur laquelle on se concentre.
Je dois raconter mon histoire correctement.

(…)

Je n’ai plus la force de m’occuper de mon histoire.
Je ne veux pas qu’elle soit définie par la colère.

Hannah Gadsby – Nanette – 2017

Combien de propos misogynes, homophobes, transphobes ai-je subi, et même accepté d’encaisser avec le sourire au détour d’un salon IRC, d’un forum, d’un subreddit, d’une soirée presse, d’un podcast enregistré ? Jusqu’à quel point les ai-je moi-même intériorisé, avant de parvenir à les déconstruire, péniblement, petit à petit, pour mon propre bien ? Aurais-je eu l’occasion de transitionner plus tôt si je n’avais pas baigné, depuis mon plus jeune âge, dans un tel climat ? Cette question me hantera probablement jusqu’à la fin de mes jours. Il est temps de tourner la page.

Ce que ça signifie pour Café Gaming

Café Gaming continuera d’exister, au moins pour que les archives soient toujours disponibles en ligne, mais peut-être aussi de nouveaux articles, podcasts, formats… Simplement, je ne m’en occuperai plus.

En vérité, ce changement a été amorcé depuis déjà plusieurs mois, discrètement, en coulisses. Je confie les clés de Café Gaming à Meligood et Maikigeeky, en qui j’ai toute confiance. Ils géreront, en duo, tous les aspects éditoriaux, techniques et administratifs du site.

Je sais que Café Gaming ne pourrait pas être entre de meilleures mains, et je compte sur vous pour faire preuve de la plus grande bienveillance à leur égard !

Ce que ça signifie pour moi

Hé bien, globalement, vous ne me verrez plus sur les pages de Café Gaming – sauf peut-être occasionnellement en temps que simple rédactrice lors d’une sélection de jeux de Noël, ou au détour d’un blind-test du Shin, qui sait ?

Pour celles et ceux que cela intéresse, vous pourrez me retrouver chez XY Media, le premier média transféministe audiovisuel en France, au sein duquel je n’ai qu’un rôle modeste depuis sa création, mais qui me tient particulièrement à cœur. Je ne peux que trop vous encourager à en regarder les vidéos et à participer, si vous le pouvez, à la levée de fonds en cours.

La visibilité trans – XY Media – 12/04/2021

Me retrouver au sein d’un collectif de personnes trans, toutes talentueuses et motivées, au service d’un projet aussi ambitieux et qualitatif… Je peux dire qu’il s’agit d’une des choses les plus positives qui me soit jamais arrivée.

Je ne sais pas encore là où le vent me portera ces prochaines années, en termes de projets personnels, associatifs ou professionnels. Mais je sais toutefois que le militantisme prend de plus en plus de place dans ma vie. Si le cœur vous en dit, vous pouvez vous abonner à mon profil personnel sur Twitter ou Instagram afin de continuer à suivre mon actualité.

Merci de m’avoir lue, suivie et soutenue pendant toutes ces années. À très bientôt, ici ou ailleurs !

Anne Ferret

J'ai créé Café Gaming lors d'un moment d'égarement, il y a bien trop longtemps. J’aime SEGA, Tetsuya Mizuguchi et Rock Band ; je fais de la musique sous le pseudonyme Lucifer Cedex.